La théorie du pic pétrolier, aussi appelée Pic de Hubbert, énonce que toute ressource finie connait un début, un milieu et une fin d’exploitation et que cette ressource atteindra tôt ou tard un niveau de production maximal qui marquera le début de son déclin.

En 1956, le géophysicien Marion King Hubbert a prédit que la production de pétrole américain atteindrait son sommet à la fin des années 1960. Bien qu’il ait été lynché par ses pairs de l’industrie pétrolière suite à cette analyse, il avait raison. Il fut le premier à affirmer que la découverte de pétrole et son exploitation présenteraient systématiquement une courbe de vie en forme de cloche. Cette analyse est devenue célèbre et est maintenant connue sous le nom de Hubbert’s Peak. Pic de Hubbert, en bon français.

L’exploitation du pétrole d’un gisement présente une courbe en forme de cloche lorsqu’elle est représentée sur un graphique. Le pic d’exploitation est atteint lorsque la moitié du pétrole que contient le puits a été extraite. À quelques très rares exceptions près, cette tendance est valable pour l’ensemble des puits de pétrole du monde. Dans le faits, le pic de Hubbert est donc plus un théorème qu’une théorie.

En clair, une fois le pic d’exploitation atteint et dépassé, le pétrole devient plus difficile et plus coûteux à extraire. Il devient donc plus rare. Le pétrole étant devenu le sang de l’économie mondiale, il est aisé de se figurer la crise cardiaque qui résultera de sa raréfaction et de sa disparition.

La quantité de pétrole découverte aux États-Unis a diminué depuis la fin des années 1930. Au début des années 1970, la production de pétrole des États-Unis a atteint son apogée et a commencé à chuter. La découverte mondiale de pétrole a atteint un sommet dans les années 1960 et a diminué depuis lors. Si le cycle de 40 ans observé aux États-Unis est vrai pour la production mondiale de pétrole, elle atteint son apogée à l’heure où vous lisez ces lignes. Et alors, direz-vous.

Et alors. Aujourd’hui, nous consommons 4 fois plus de pétrole que nous n’en découvrons.

En appliquant l’analyse du pic de Hubbert à la production mondiale de pétrole, on estime qu’environ la moitié de tout le pétrole qui pouvait être récupéré avec les moyens techniques actuels l’a été. La production pétrolière mondiale pourrait donc atteindre son sommet dans un avenir proche. Peut-être l’a-t-elle même déjà atteint sans que nous puissions encore mesurer la vélocité de sa chute…et la proximité de la nôtre. Car nos économies reposent entièrement sur le pétrole et son exploitation.

On peut transposer le pic de Hubbert d’une façon assez simpliste : des hommes errent dans une ville désertée et trouvent de l’eau ici et là depuis des mois. Dès qu’ils trouvent une bouteille, ils la boivent immédiatement, s’en servent pour nettoyer leurs chaussures ou pour faire des batailles d’eau. Ces inconscients privilégient leur plaisir immédiat et ne réalisent pas qu’ils sont en train de gaspiller ce qui les maintient en vie. Bientôt, l’eau viendra à manquer et il ne leur restera que 3 jours à vivre. La descente va être brutale. Surtout pour ceux d’entre eux qui ont gardé une bouteille du précieux liquide dans leurs sacs et qui devront affronter la soif des autres.

Ces inconscients c’est nous, ou plutôt notre société et surtout nos dirigeants qui ont, depuis les années 1930, privilégiés les revenus immédiats mais précaires de l’industrie pétrolière sans prévoir l’avenir. Le pic de Hubbert est souvent évoqué par les médias qui en parlent comme s’il s’agissait d’une légende urbaine, mais il finira par être atteint et ceux qui pensent qu’il nous reste 50 ans d’exploitation devant nous devraient vite sortir leur tête du sable.

En termes d’énergies non renouvelables, une fois qu’un sommet est atteint la croissance de l’offre est terminée. Les approvisionnements se tarissent. Un pic est généralement aussi une transition rapide vers le déclin. Longtemps estimée dans plusieurs décennies, la descente semble s’accélérer et l’Agence Internationale de l’Energie (IAE) a récemment alerté sur un possible choc pétrolier en 2020.

Le pétrole qui fait fonctionner nos industries touristiques, chimiques, pharmaceutiques, agro-alimentaires et qui fait rugir les moteurs qui transportent nos corps et nos marchandises provient majoritairement de l’Arabie Saoudite, du Kazakhstan, du Nigéria et de Russie. Si ces pays venaient à cesser leurs exportations pour une raison ou pour une autre, il ne resterait à la France que de quoi répondre à 1% de ses besoins en pétrole (notre pays compte environ 800 000 tonnes de capacité annuelle de production contre 57 millions de tonnes importées chaque année). Les « réserves stratégiques » de pétrole de la France ne permettraient de tenir que quelques mois dans le meilleur des cas et dans des conditions fortement dégradées impliquant des rationnements.

Un arrêt brutal de la distribution de pétrole est possible et aurait des conséquences catastrophiques. Quand on parle pétrole, il ne faut pas uniquement penser pétrole. La France et la majeure partie des Etats du monde importent les trois quarts de leur consommation pétrolière. Une coupure de l’approvisionnement en pétrole aurait des répercussions immédiates dramatiques sur les chaines logistiques de l’ensemble des secteurs économiques et en particulier sur la distribution de denrées alimentaires.

Je vous recommande une très saine lecture sur le sujet : La théorie des dominos d’Alex Scarrow est un roman extrêmement bien construit sur le sujet. L’auteur y décrit les conséquences locales d’une cessation mondiale de l’approvisionnement en pétrole. J’ai dévoré ce livre en 2 jours car j’ai particulièrement apprécié l’approche de Scarrow, qui arrive à vulgariser très intelligemment le mécanisme mondial du pic de Hubbert tout en traitant efficacement la question des conséquences au niveau local. Mesures gouvernementales d’urgence, réactions des citoyens, dégradation du quotidien, nouvelles menaces…ce livre aborde énormément de sujets qui nous intéressent et je vous conseille fortement de le lire.

Comme le disait Marion King Hubbert devant la chute toute tracée qu’il percevait pour nous, « notre ignorance n’est rien à côté de notre impuissance à mettre à profit ce que nous savons ». Si nous sommes impuissants face à l’imminence d’un pic pétrolier, nous pouvons en revanche nous préparer au mieux à ses conséquences.

Alors, préparez-vous.

Légendat

NB: Je vous livre ici un extrait de La théorie des dominos qui me parait résumer efficacement ce dont il est question :

« Le pétrole pourrait très bien couler à nouveau d’ici la semaine prochaine, mais d’où viendra notre nourriture ? Le fermier brésilien qui fait pousser le café, le fermier ukrainien qui fait pousser les patates, le fermier espagnol qui fait pousser les pommes…réfléchissez un moment. Ces fermiers-là, est-ce que leurs exploitations tournent encore ? Est-ce qu’ils sont encore vivants, ou bien blessés, ou malades ? Ou mieux…est-ce que leurs récoltes n’ont pas pourri sur place, faute d’essence pour faire marcher le tracteur ou la moissonneuse ? Et tous les acheteurs, les usines de traitement, de transformation, les distributeurs… tous les maillons de la chaîne qui permet d’acheminer la nourriture depuis la terre jusqu’au supermarché du coin ? Est-ce que les entreprises fonctionnent encore ? Est-ce qu’elles existent encore, ou bien leurs locaux ont-ils été pillés et brûlés ? Et qu’en est-il de leur main d’oeuvre ? Les employés sont-ils encore vivants ? Ou bien sont-ils chez eux à vomir leurs tripes parce qu’ils ont bu l’eau dans laquelle ils chient ? »