Faites appel à votre bon sens et ne prenez pas les conseils qui vous sont prodigués pour argent comptant. S’il y a bien un enseignement qu’on peut tirer des situations de chaos, c’est qu’il n’y a absolument aucune règle sur la façon dont les choses se passent. On peut se préparer pendant des années et passer des nuits entières à établir des scénarios sur ce qui peut arriver en cas d’effondrement, à l’arrivée rien ne garantit qu’on aura vu juste et même si c’est le cas, cela ne garantit pas de réussir son évacuation ni de tirer son épingle du jeu dans ce nouvel environnement. Nombre de spécialistes des effondrements économiques (si tant est qu’il en existe) conseillent d’investir dans les métaux précieux, en particulier dans l’ or et l’ argent, pour se prémunir contre la disparition de l’économie moderne. Si comme la plus grande part des français vous avez plus ou moins 25 000€ de côté, placer ne serait-ce que le quart de vos économies dans ces métaux représente un investissement très conséquent.

En étudiant les guerres balkaniques et les guerres du Proche et du Moyen-Orient récentes, on s’aperçoit que les métaux précieux ne servent pas ou très peu de monnaie d’échange aux populations en temps de crise. En réalité, même si la monnaie nationale perd toute valeur elle continue de servir de référence pour les échanges pendant très longtemps et est souvent complétée par une monnaie solide et internationale comme le dollar. Anticiper une situation de troc dans le cadre d’un bouleversement local, national ou même d’envergure européenne relève davantage du fantasme que du possible. L’échange monétaire est tellement ancré dans les habitudes qu’il faudrait réellement un effondrement mondial cataclysmique pour que le troc devienne la norme des échanges commerciaux.

Néanmoins, il est indéniable que les médicaments, les armes et munitions, les denrées alimentaires, l’alcool, les cigarettes et le café jouent un rôle prépondérant dans les transactions en temps de crise (surtout de guerre) et c’est logique : dans des circonstances où on manque de tout, on cherche à combler ses besoins primaires et on privilégie l’utilité immédiate des items, le troc remplace donc naturellement une partie des opérations d’achat-vente traditionnelles.  Or, les métaux précieux ne se mangent pas, n’ont aucune vertu thérapeutique ni aucune utilité pratique et leur nature même représente un sérieux danger pour la personne qui les détient.

Les pièces d’or en particulier ont des valeurs de masse (et parfois faciales) très élevées qui sont totalement inadaptées au commerce en temps de chaos. On s’imagine difficilement acheter un rouleau de papier toilette et quelques boites de conserves avec un Louis d’ or. Mieux vaut donc, dans l’absolu, mettre de l’argent liquide de côté. En réalité, dans les situations d’effondrement il est surtout difficile de trouver quelqu’un qui accepte d’échanger une denrée ou un objet utile contre une pièce, quelle que soit sa valeur. Quand votre préoccupation est de faire tenir votre famille un jour de plus et que votre enfant a de la fièvre, vous préférez échanger votre boite de cartouches de .22lr et votre briquet contre 200g de viande et une boite de Doliprane plutôt que contre une pièce d’or, même si vous êtes conscient de sa valeur. Logique. Et si vous trouvez une personne intéressée par votre or, elle aura tout loisir d’exiger plusieurs pièces en insistant sur leur inutilité actuelle. Et elle finira peut-être par toutes les vouloir.

Le risque de se faire tuer (et sa famille) pour son or est à prendre en compte, et il est élevé. Admettons que vous ayez besoin de munitions et que vous achetez 50 cartouches pour 1 pièce d’or. C’est hors de prix mais les munitions sont rares et vous en avez besoin car des bandes de pilleurs sévissent et vous craignez pour votre famille. Alors vous les achetez. Quelques jours plus tard, vous recroisez le vendeur qui vous dit qu’il a trouvé un plan et qu’il peut vous fournir 500 cartouches pour 9 pièces d’or. Votre or ne vous sert pas et vous manquez de tout, ce troc est une véritable aubaine qui vous permettrait de garder plusieurs dizaines de munitions pour vous et de troquer le reste contre des médicaments et de la nourriture, alors vous prenez rendez-vous pour le lendemain. Lorsque vous vous présentez, vous êtes accueilli par un coup de couteau dans la gorge, votre vendeur au plan d’enfer est plus riche de 9 pièces d’ or et votre famille devra se débrouiller pour survivre sans vous. Game over.

Pour anticiper une situation impliquant du troc, il est plus pertinent de se concentrer sur l’achat de médicaments, de munitions, de cigarettes, d’alcool,… C’est ce qui permet de procéder le plus facilement à des échanges et le risque de se faire voler et assassiner pour un rouleau de papier toilette, quelques cigarettes ou un paquet de café est faible (sauf si vous vous vantez d’avoir un stock conséquent, auquel cas quelqu’un finira par tenter de vous le prendre). Si vraiment constituer une réserve de métaux précieux vous importe, préférez acheter un lot de joncs en or jaune ou en argent. Vous pourrez les porter et les échanger sans attirer l’attention : il faut être tordu pour stocker des alliances en or, donc personne ne soupçonnera que vous le faites. Les pièces d’or et autres lingotins attirent l’attention, crient « il y en a d’autres dans ses poches ! » à ceux qui les voient et peuvent vous mettre en danger. Un bijou est un objet très personnel, le céder est perçu comme un sacrifice surtout si vous êtes bon acteur.

Une option viable d’investissement dans les métaux précieux consiste à placer suffisamment de pièces et de lingots d’or pour refaire sa vie dans une banque située à l’étranger, plus précisément dans le pays où vous envisagez de prendre la fuite si la situation l’exige. Néanmoins, cela immobilise une partie de votre patrimoine, vous expose à des taxes, et rien ne garantit que vous pourrez atteindre votre destination ni que celle-ci sera épargnée par les troubles que vous fuyez. Vous l’avez compris, investir dans les métaux précieux et leur stockage n’est pas forcément une opération gagnante.

Mon conseil est de miser sur du cash pour avoir un pécule disponible en permanence et de s’équiper en amont en matériel de survie pour éviter de se retrouver démuni en cas de crise.